C’est au fond d’un dédale d’ateliers abrités sous une verrière lumineuse que nous accueille Romain de Souza avec son allure de danseurboxeur, son regard bleu et son sourire désarmant. Métalleux dans l’âme, ce sculpteur hors norme voit depuis quelques années son art se végétaliser et la faune coloniser son imaginaire.
Boulle bille entête
Toujours, sans d’abord s’en rendre compte, il a aimé la forêt et les animaux, les vrais de poil, de plume et d’écaille et les imaginés, en particulier ceux des Lalanne qu’aimait tant son grand-oncle. Toujours surtout, Romain a voulu souder. C’est au nord de Paris, en pleine adolescence, qu’il apprend les arcanes du métier dans l’atelier d’un vieil ours génial. Et puis, c’est l’arrivée rocambolesque à l’école Boulle: reçu troisième à l’examen d’entrée, il s’aperçoit qu’il s’est trompé de concours. Sans se démonter il négocie avec
succès sa transhumance dans le bon atelier.
Ne rien dire,faire
Romain de Souza sort de l’école pétri d’excellence artisanale, l’imagination en ébullition. Et là, il s’interroge. Sera-t-il un artiste s’il s’intéresse au décor? Est-il un artiste si, au contraire de beaucoup, il décide de ne porter aucun message ? Les questions sont entières et c’est d’outre-tombe qu’Alberto Giacometti lui souffle la réponse qu’il
attend: je ne veux rien dire, je veux juste faire. À cela s’ajoute la profonde certitude qu’aimant être ému, il veut émouvoir. Alors, il sculpte les corps et se lance dans le luminaire. L’artistique et le décoratif ne s’opposent pas. Au contraire, chez Romain de Souza, ils se répondent, s’épaulent, se mettent en valeur.
Lumière quitransperce
Et puis, il y a un déclic. Romain de Souza est assis là, dans son jardin qui sent bon le métropolitain, le corps au repos, le regard aux aguets. Chez un voisin, une lourde feuille de bananier s’anime chahutée par le vent. Son arrête centrale semble la colonne vertébrale de deux ailes nervurées. Romain attend que le soleil entre dans le jeu et
transperce sa membrane. Mais la feuille, épaisse, ne se laisse pas faire. Qu’à cela ne tienne, lui y fera passer la lumière!
En esprit, sa première feuille-luminaire vient de jaillir, marquant le départ d’une nouvelle période créatrice. Il faudra des journées d’atelier, le graphite du crayon de papier, le feu de la soudure, pour que son idée devienne réalité. Sculpture le jour, ses feuilles de métal deviennent source de lumière la nuit. Le succès ne se fait pas attendre.
Et avec lui, s’envolent les incertitudes: Romain est un artiste qui réenchante nos décors quotidiens.
De fil enfeuille
De fil en feuille, l’arbre aux quarante écus de son infance resurgit dans son imaginaire. Le ginkgo biloba, devient son nouveau terrain de jeu et de feu. Sous son empire, ses feuilles s’illuminent à leur tour. Et c’est à ce moment-là que survient la révélation. Un de ses amis passe une tête dans son atelier. Sur le sol oxydé et griffé est posée une de ses feuilles qui attend d’être parfaite. L’invité surprise s’exclame: « superbe ta raie! » Romain est d’abord interloqué. Rinçant son regard, il tâche de se détacher de son œuvre et soudain, lui aussi, voit le poisson apparaître sous la feuille. Le végétanimal est né!
Cerf végétanimal
Ainsi le végétal serait susceptible d’être en même temps animal? Les perspectives qui s’ouvrent au sculpteur sont vertigineuses et bientôt le cerf en devient le symbole. Les bois qu’il arbore, le cycle des saisons qu’il honore en les perdant résument l’épiphanie vécue par l’artiste. Romain s’empare de son double de métal qu’il forge sans relâche. La lumière qui le transperce le rapproche toujours plus du légendaire cerf de Saint-Hubert à la croix scintillante. L’art de Souza y gagne en éternité.
L’artiste poursuit aujourd’hui sa réflexion sur ce végétanimalisme qui semble avoir son mot à dire dans notre siècle de remises en question.