A vingt-huit ans, on peut dire qu’il a l’âme bien née. Peintre, décorateur de théâtre, restaurateur de palais et de musées, Romain de Souza a déjà exposé en France et à l’étranger. Mais c’est la première fois qu’il montre son travail personnel de sculpteur. Nous avons rencontré l’artiste parisien dans son atelier, quarante-huit heures avant le vernissage.
Traits tirés, joues creusées à la Artaud, encore vaillant malgré le stress et la fatigue des préparatifs, Romain de Souza nous guide dans son capharnaüm : « C’est le Bronx ici », lâche en riant l’artiste à la silhouette aussi élancée que ses sculptures en métal. Devant la porte de l’atelier, il nous montre L’Homme-Chaise, la création fétiche qui lui a permis en 2005 de sortir couronné de la vénérable Ecole Boule. « C’est grâce à elle que tout a commencé », dit-il en s’asseyant à l’intérieur de l’ouvrage brasé à la baguette de cuivre. Une seconde plus tard, mû par le ressort de l’anxiété, il nous conduit à la mezzanine où ses œuvres attendent le départ. Là, malgré l’austérité des lieux, on se sent miraculeusement bien, détendu. C’est normal, puisqu’on est au… paradis !
La scénographie que le sculpteur met en place sera la même qu’à l’exposition. « Pour moi, l’harmonie représente tout. En un champ de sculptures au milieu de la salle, les pièces pourront être vues en même temps par plusieurs personnes qui ainsi croiseront leurs regards. » Multipliant les facettes, l’alliage de poésie, de tendresse et de sens que l’on découvre, est fascinant de puissance et de finesse. Et pour cause. Romain de Souza, subjugué par l’œuvre pathétique de Zoran Music – qu’il a découvert lorsqu’il était enfant – sonde la souffrance que la beauté sublime. A vingt-huit ans, il a la profondeur d’un homme pour qui espoir et compassion ne sont plus, depuis longtemps, hélas ! de vains mots. Loin des modes, remettant en jeu son âme dans un dialogue enflammé avec le métal, il attise le hasard pour l’atteler au char de la technique, jusqu’à ce que l’harmonie des formes réponde à la grandeur des thèmes qui l’inspirent. Alors, ultime récompense, la joie irradie son œuvre et transcende la douleur qui la porte. Pieds martyrisés du danseur à la conquête du ciel ; mains noueuses, chétives, solitaires qui se cherchent et se joignent dans l’amour ou la prière ; incertain face à face des visages et du temps ; torses ajourés sur le mystère de nos entrailles : chaque sculpture de Romain de Souza célèbre la grâce dans laquelle le corps meurtri s’élève. Les élans du laiton, du cuivre et du fer densifient l’espace et le métamorphosent en un allégorique oiseau de feu, dont on suit le vol délicat en vingt-huit battements d’ailes. Vingt-huit pièces uniques, fruits de cinq années d’un labeur acharné, qui, une dernière fois, brillent devant nos yeux dans le vide et la pâleur d’un hangar de Villejuif.
Avec bonheur, deux jours plus tard, sous la verrière bleutée de l’Espace Kiron, nous les retrouvons plus resplendissantes que jamais près de leur créateur : « Mes sculptures et moi, on se sent aussi bien ici qu’à la maison », s’amuse Romain de Souza, entouré d’une noria de jolies femmes. Désormais décontracté, rayonnant dans une veste à la Nehru en cashmere turquoise, il reçoit ses invités, une coupe à la main. Champagne, fromage de l’Himalaya, les convives se restaurent en détaillant le mur de croquis qui fait face au bar. Rapidement, le bourdonnement des premiers arrivés fait place au brouhaha de la foule. A la nuit tombée, nappant l’entrelacs des pièces brillantes comme de l’or, les traits des éclairages relient les œuvres entre elles. « Pour financer mes études, j’étais ouvreur à l’Opéra de Paris, explique l’artiste au physique de jeune premier, c’est là que j’ai découvert comment les danseurs, une fois sur scène, transmuent la technique en art, les corps contraints en lignes épurées ». Illustrant « cet éphémère mouvement de lâcher prise où les âmes s’élèvent », Glissement, la sculpture qui fait l’affiche de l’exposition, symbolise l’apesanteur extatique de l’instant où les pointes du danseur effleurent le sol. Grâce aérienne que l’on retrouve dans le pied sculpté de Nicolas Le Riche, qui surplombe toutes les autres pièces, et que l’artiste a baptisé Merci, en hommage au danseur étoile. Des pieds, Romain de Souza est naturellement passé aux mains et aux visages, puis au cœur qui les anime, et enfin aux entrailles : « J’ai voulu donner de la beauté à ce que l’on cache. Depuis que je resserre les tiges de laiton, je me sens plus juste pour exprimer les peines du corps et de l’esprit. » Tout en restant fidèle au figuratif, ces torses sculptés n’entrouvrent-ils pas les portes de l’abstraction ? Nul hasard, si L’Oiseau de Feu, célèbre symphonie de Stravinski souvent chorégraphiée, donne son nom à l’une des dernières créations de ce jeune artiste qui, ce soir, prouve qu’il vole de ses propres ailes. Mais déjà, Romain de Souza raccompagne quelques amis à l’air libre, où, sur le trottoir, des groupes d’invités de tous âges font autant de chahut que les élèves à la sortie du cours Simon, à une porte de là.
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